L’enquête de moralité au concours de l’ENM

Salut à tous/toutes !

« Johnson, prenez la 4ème avenue et foncez vers Columbus Street. Appel à toutes les unités, je répète, appel à toutes les unités. Le suspect est dangereux, apparemment il aurait dépassé son ticket de parcmètre d’un quart d’heure à Niort en 2004 avec sa Fiat Punto ». Les hélicos, Jean Reno en blouson de cuir, les pneus des voitures qui crissent, les profilers du FBI, les coups de feu en pleine ville… L’enquête de moralité promise aux admissibles au concours de l’ENM est bien loin d’un épisode de NCIS.

Je me suis finalement décidé(e) à écrire un article sur le sujet car on me pose très fréquemment la question avec inquiétude, en commentaire ou par mail : « Qu’est-ce que je risque lors de l’enquête de moralité ? ». Cette angoisse est encore renforcée par les « témoignages-rumeurs » véhiculés sur certains forums liés au concours, où d’aucuns racontent qu’ils ont entendu le cousin de la belle-sœur d’une admissible rapporter qu’en 2011 quelqu’un avait été retoqué parce qu’il a traversé hors du passage piéton en allant au gymnase en CM2.

Ah, elle produit décidément son effet dissuasif, cette bonne vieille enquête de moralité ! Au menu de plusieurs concours de la fonction publique, elle peut laisser croire que chaque admissible va passer sous les fourches caudines. Il y a pourtant toutes les raisons de ne pas s’inquiéter, et en tous les cas de ne pas faire interférer cela avec votre préparation : les révisions et le stress seront probablement suffisants pour éviter d’y ajouter ce faux problème.

On dispose de très peu d’informations « officielles » sur le déroulement de cette enquête, très logiquement. Ce qui va suivre se fonde donc essentiellement sur mon expérience d’admissible et les discussions avec mes camarades de promotion, et ne peut donc être considéré comme la vérité absolue. Cette mise au point me semble néanmoins nécessaire pour déminer toutes les craintes que suscite cette morality investigation (c’est pas mal, en anglais) !

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– « Capitaine, encore un redoublant qui ne veut plus répondre à nos questions… »
– « Envoyez les renforts. »


Pourquoi cette enquête de moralité ?

Dans la mesure où les magistrats sont amenés à rendre des décisions – notamment pénales – qui poursuivent et sanctionnent les comportements contraires à l’ordre public, il est parfaitement logique que ceux-ci soient dotés de la plus grande « moralité ». L’usager du service public de la justice ne comprendrait pas, à juste titre, qu’un juge fasse appliquer une loi qu’il lui est arrivé de transgresser lui-même. Gendarmes, policiers, militaires d’active et de réserve, experts-comptables… l’accès à de nombreuses professions est soumis à cette fameuse enquête.

En toute logique, le ministère de la Justice et l’École nationale de la magistrature poursuivent donc un objectif de contrôle sur le corps, afin de s’assurer que les impétrants magistrats soient dotés de la moralité nécessaire pour exercer leur noble fonction. A fortiori depuis l’affaire d’Outreau et à l’ère de la transparence généralisée, la magistrature est désormais sous le regard permanent de l’opinion publique – et c’est une excellente chose. L’enquête de moralité peut ainsi permettre d’éviter des déconvenues futures, avec des auditeurs/trices qu’il faudrait écarter par la suite.

Que vise t-elle à vérifier concrètement ?

C’est là où les incompréhensions sont les plus fréquentes. Trop souvent, on s’imagine que les magistrats sont des quasi-moines, dont il faudrait effacer les expériences passées et les opinions pour qu’ils soient conformes à l’exigence d’impartialité. Un « like » sur une page Facebook, une signature sur une pétition, ou pire, une adhésion à un mouvement quelconque, et vous seriez fiché(e) pour avoir « pris position ». Être (ou devenir) magistrat(e), ce n’est pas entrer dans les ordres et ne « rien laisser dépasser » : on gagnerait d’ailleurs selon moi, au contraire, à disposer de davantage de magistrats impliqués dans la vie de la cité et conscients des réalités sociales.

Ce que l’enquête de moralité vise à vérifier, c’est que les activités de l’admissible ne présentent pas d’incompatibilité majeure et évidente avec l’exercice de la fonction de magistrat. Vous pouvez avoir été encarté ici ou là (c’était d’ailleurs mon cas !), syndiqué(e) ; avoir écrit des tribunes, tenu un/des blogs ; signé, co-signé, contresigné (par acte de seing privé) toutes les pétitions de la Fête de l’Huma pour l’indépendance du Kurdistan et la libération de Mumia ; joué dans des films, participé à des expositions, commenté des pages Facebook ou twitté comme un(e) dingue : sauf hostilité manifeste à la forme républicaine du gouvernement, vous êtes un(e) citoyen(ne) normal(e) et ne représentez donc pas un danger pour la profession.

Idem pour les expériences associatives. En plus de constituer un signe d’engagement social et citoyen particulièrement appréciable et apprécié (par le jury), j’ajoute que de grand(e)s magistrat(e)s sont ou ont été membres, voire présidents, d’associations parfois importantes. Bref, à moins d’être black-bloc anarchiste ou skinhead néo-nazi, vos opinions ne devraient pas faire obstacle à votre intégration.

« Et si quelqu’un de ma famille a eu des soucis avec la justice ? ». La question m’a été posée plusieurs fois. Si vous êtes dans ce cas (parent ou frère/soeur incarcéré, par exemple), répondez bien sûr avec sincérité (si la question vous est posée, mais c’est une autre histoire…). Là encore, à moins d’être la fille cachée d’un parrain de la mafia, c’est une information dont il sera pris bonne note mais dont je vois mal en quoi elle pourrait vous porter préjudice : vous n’avez (j’espère pour vous !) rien à voir avec tout cela…

Ce qui pourrait vous poser problème, c’est de ne pas présenter un bulletin n°2 du casier judiciaire vierge, comme cela est exigé de tous les agents de la fonction publique. Si vous avez fait l’objet d’une condamnation, je vous laisse le soin d’aller vérifier sur Légifrance les délais d’effacement des peines délictuelles. Si vous avez commis des « bêtises de jeunesse », sachez également que certaines condamnations prononcées par les juridictions pour mineurs disparaissent du casier judiciaire à votre majorité. Inutile de stresser pour un PV de stationnement ou un oubli de carte jeune dans le train !

Quelles formes prend-elle ?

C’est ici que débarquent Robert de Niro, Clint Eastwood et Frédéric Diefenthal (cherchez l’intrus). Je l’ai suggéré à demi-mot par ma boutade introductive, mais il y a de grandes chances que vous ne soyez pas confronté(e) directement à l’enquête. Pour ma part, rien, nada, niente. D’aucuns diraient : « Rien… dont tu sois au courant… Héhé… ». Très franchement, mon impression est que la réalisation de cette formalité administrative varie fortement en fonction du service qui en est chargé. Le temps imparti pour l’effectuer est très restreint, et enquêter à la Columbo sur plusieurs dizaines d’admissibles n’est sans doute pas la priorité des fonctionnaires de police (à juste titre).

Là aussi, les fantasmes vont souvent bon train : utilisation d’algorithmes, mobilisation des RG… Certains camarades ont eu droit à un coup de fil d’un OPJ, d’autres ont dû passer au commissariat pour deux ou trois questions. Un ami a bénéficié d’un conseil avisé : passer une page Facebook vantant son niveau aux jeux vidéo en mode « privé ». J’imagine qu’il est aussi procédé à un petit googlage et à une recherche sur les fichiers informatisés de police (TAJ notamment). Pour le reste, cela relève à mon avis au mieux de la rumeur, au pire de l’intox pure et dure !

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– « L’enquête de moralité pour l’ENM ? Faudrait qu’j’en parle à ma femme… »


Pour synthétiser mon propos et libérer le capitaine Johnson et ses équipes du FBI, l’enquête de moralité est une formalité administrative qui ne doit susciter en vous aucune inquiétude (sauf cas très particuliers – et très rares). Personne ne sera embêté par des questions gênantes lors du grand oral – je doute d’ailleurs fortement que le jury dispose du « rapport » de cette « enquête » -, et le résultat de cette procédure n’aura à 99,9 % aucune incidence sur votre admissibilité et votre admission.

Si avez quelques doutes sur votre situation personnelle, assurez-vous d’abord qu’ils sont légitimes : regardez sur le site de l’ENM les conditions précises, tout en vous souvenant bien que les cas d’incompatibilité avec la fonction de magistrat sont extrêmement rares. Ce sont là encore des supputations personnelles, mais j’imagine que s’il y avait un souci manifeste, cela se passerait en amont de l’oral et vous en seriez informé(e).

Bref, préparez-vous (le plus) tranquillement (possible) ! L’enquête de moralité est un non-événement absolu, qui n’aura aucune conséquence pour vous et ne saurait vous détourner de votre objectif : l’enjeu, c’est l’oral en lui-même. « Johnson, mission annulée, je répète, mission annulée : le suspect nous a échappé, il a déjoué nos barrages, évité les herses à clous avec sa Fiat Punto en passant sur le trottoir, et il se dirige maintenant hors de notre juridiction, vers le comté d’Angoulême ».

From ENM, with love

 


11 réflexions sur “L’enquête de moralité au concours de l’ENM

  1. Hello,
    Je souhaiterais me présenter au concours en juin 2020.
    Or j’ai fait l’objet d’un RAL en 2008 (j’avais 13 ans) pour usage de stupéfiants…
    Suis-je quelqu’un d’immoral ? Au sens de l’enquête bien sûr…et donc in-admissible ?
    Merciiiii ❤

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    1. Bonjour Batou (ou Batouuuuu) !

      Sur ton immoralité dans l’absolu, c’est extrêmement mal et pas bien du tout d’avoir rejoint le temps d’une soirée la confrérie des rastas et autres adorateurs de Bob Marley. Au sens de l’enquête de moralité, il est embêtant d’avoir des mentions au bulletin n°2, mais tu n’es pas sans savoir que les rappels à la loi, qui plus est pour les mineurs, n’y figurent pas. Tu peux ainsi te préparer l’esprit tranquille, cela m’étonnerait fort qu’on t’embête avec ça!

      Bonne préparation à toi (l’année prochaine) !

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    2. Pour Batou : si ça t’inquiète tu peux demander un effacement du TAJ au procureur compétent (celui du lieu de l’infraction il me semble.)

      Sinon pour compléter cet article, des rumeurs disaient que ceux qui n’étaient pas admis à cause de l’enquête de moralité voyaient leur notes aux oraux baisser pour éviter leur admission. Il faut savoir que ce n’est PAS LE CAS : mes oreilles d’ADJ ont entendu que ceux qui n’étaient pas admis à cause de cette enquête de moralité étaient contactés par téléphone avant les résultats d’admission (un ami d’ami a reçu ce fameux coup de téléphone).

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      1. Hello ADJ2018 (que de mystérieu-x-se(s) ADJ…),

        Cela ne m’inquiète que si cela implique que je reçoive ce fameux appel…si tant est que je sois admissible ^^

        Toutefois je me dis que mineur+RAL+10 ans plus tard = no panic……..

        On verra bien !

        Merci en tout cas 🙂

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  2. Bonjour ADJ mystérieux,

    Sans indiscrétion, pourquoi ton ami d’ami a-t-il été recalé par l’enquête ? Mention au B2 ou au TAJ où les deux?

    Après j’imagine que les mentions au B2 sont examinées au cas par cas mais bon..

    Merci!

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    1. Hello,

      j’aimerais savoir également si c’est possible pour quelle raison il/elle a été recalé(e).

      Je prépare actuellement le 2e concours et j’ai eu un accident de la circulation en VTAM il y a 8 ans avec blessés pour lequel j’ai été mis en cause mais qui a été classé sans suite car pas de charges à retenir même si je suis « responsable » de l’accident. Je suis donc fiché au TAJ mais pas au B2. Pour cette infraction, normalement le délai dérogatoire avant suppression est de 5 ans donc ça doit NORMALEMENT ne plus figurer dans le TAJ mais travaillant dans l’informatique actuellement, je sais bien qu’aucune information ne disparait jamais d’un fichier informatique.

      Bref j’ai demandé l’effacement au ministère de l’intérieur. Pas de réponse, je vais préparer ma demande à la CNIL qui indique un délai moyen de 6 mois ce qui nous amènerait après l’admissibilité.

      Déjà que je stresse pour le concours, là je suis à deux doigts de la panique.

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      1. Hello Juliette, et désolé pour le terrible retard de plus d’un mois avec lequel je réponds à ton message!

        J’espère que tu n’as pas sombré dans la panique totale durant tout ce temps, car ce serait bien dommage : tu n’as absolument pas à t’en faire pour cela. Le fait d’apparaître au TAJ n’est en aucun cas rédhibitoire, au contraire d’une condamnation apparaissant au B2 du casier judiciaire. En plus, le délai d’effacement est visiblement écoulé et l’affaire a été classée sans suite ! Bref, concentre-toi pleinement sur la préparation du concours et ne t’embarrasse pas l’esprit avec tout cela! Bon courage à toi pour la suite des évènements!

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  3. Bonjour,

    Je souhaiterai me présenter au concours de l’enm et j’ai fait l’objet par deux fois d’une hospitalisation sous contrainte et suis donc passée devant le juge deux fois.
    Est ce rédhibitoire ?

    Bien cordialement

    Audrey

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    1. Bonjour Audrey! Absolument pas : il s’agit d’une mesure civile, qui ne laisse aucune trace nulle part si ce n’est dans le greffe JLD du tribunal, et qui ne « suit » pas les personnes qu’elles concernent. Bref, le jury n’a absolument aucun moyen de savoir cela, et ça n’entre pas dans le champ de l’enquête de moralité. Et tu n’as en aucun cas à le signaler à quiconque lors du concours : c’est arrivé à tout le monde d’avoir une/des période(s) difficile(s) et cela relève de ta vie privée. Bonne préparation à toi!

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  4. Bonjour,

    Tout d’abord, merci pour cet excellent blog!

    Ensuite, j’ai 39 ans, je suis française de parents algériens musulmans disons « modérée » pour ma mère et de « principe » pour mon père grand amateur de whisky de 10 ans d’âge haha (pas très musulman). Par ailleurs, je suis fonctionnaire hospitalière depuis 20 ans.

    Cependant, je souhaite m’investir dans une préparation ENM pour ensuite passer le concours.

    Je suis athée. Mais ce qui m’ennuie, c’est que mon plus jeune frère de 30 ans est tellement musulman qu’il porte tout l’accoutrement du parfait fiché S. S’il l’a été un jour, je suppose qu’il ne l’est certainement plus tellement il est inoffensif.. Bref c’est un adepte de la salafia, lecture la plus litterale du Coran.
    Il vit desormais sa religion au Maroc.

    J’ai contacté la DGSI qui me confirme que les enquêtes de moralité concernent effectivement les proches et que malgré qu’il ne puisse pas se prononcé sur mon cas, il est possible que mon frère fasse ou ait fait l’objet du fiché S en fonction de ses fréquentations et de son mode de vie. Or, si les condamnations d’un membre de la famille puisse échapper à l’éviction de l’accès à lENM, alors la simple suspicion de radicalisation d’un proche est encore moins suivie.

    Qu’en penses tu?

    Sofia.

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  5. Bonjour,

    Je souhaite passer le troisième concours et malheureusement il y a un an j’ai fait une petite dépression et j’ai fumé un peu de cannabis. Un soir je me suis interpeller par des policiers qui m’ont inscrit au TAJ parce que j’avais 10€ de cannabis sur moi.

    Puis-je quand même préparer le concours ou bien c’est rédhibitoire ?

    Merci de votre aide.

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