Salut à tous / toutes !
Bien se préparer au concours d’entrée à l’ENM, c’est avant tout ingurgiter des manuels et des polycopiés tout en perfectionnant sa méthode dissertation après dissertation. Mais ces différents personnages judiciaires que nous croisons dans nos cours, ou dont nous entendons parler, nous en avons bien souvent une vision extrêmement théorique. Nous avons sagement appris que le juge d’instruction dispose de pouvoirs d’investigation plus larges que ceux du procureur, que le juge aux affaires familiales peut rendre des ordonnances de protection, ou que le parquet a « la parole libre, mais la plume serve ».
Si mes polys et les cours en amphi m’ont bien renseigné(e) quant aux attributions et aux fonctions exercées par chaque magistrat, j’aurais été bien embêté(e) si on m’avait demandé en octobre 2015 à quoi pouvait bien ressembler le quotidien d’un juge de l’application des peines ou d’un juge des tutelles. Comment les grands principes procéduraux et de fond issus de nos quatre codes chéris s’appliquent-ils au quotidien, dans un tribunal d’instance ou de grande instance ? Plus simplement, que fait un magistrat du moment où il pose un pied dans le tribunal, jusqu’au soir où il/elle rentre fourbu(e) chez lui/elle ?
Après un (passionnant) stage juridictionnel – qui touche bientôt à sa fin -, je dispose désormais de réponses à toutes ces questions, et je vous propose une série d’articles sur le quotidien des magistrats et fonctionnaires de la justice. Juges, parquetiers, greffiers, auxiliaires de justice : personne ne sera oublié. Mon objectif avec ces quelques articles n’est pas de vous ressortir la fiche ONISEP sur le métier de magistrat, mais d’aller au-delà des poncifs et de ce que l’on sait toutes et tous en vous livrant mes expériences « de terrain ».
A tout seigneur, tout honneur ! Je débute cette série par un premier article consacré au juge d’instance, héritier des justices de paix napoléoniennes et malheureusement espèce en voie de disparition. Cette fonction très variée et stimulante me permettra de mettre en lumière la justice civile, méconnue du grand public et même de beaucoup d’étudiant(e)s en droit, qui imaginent plutôt les magistrats en présidents de cours d’assises ou juges d’instruction qu’en civilistes bloqués devant Openoffice et Dalloz.fr.
On reviendra brièvement sur les différentes fonctions des magistrats pour que les lecteurs qui découvrent le monde de la justice puissent suivre les forçat(e)s déjà initié(e)s, mais ce n’est que pour mieux nous immerger dans la pratique quotidienne par la suite. Je ponctuerai mon article de conseils de lecture et vidéos intéressantes pour satisfaire les futur(e)s juges d’instance qui sommeillent en vous (si si, vous en mourrez d’envie) !
La deuxième petite plaquette sera très prochainement en option.
Les fonctions et attributions du juge d’instance
La magistrature est composée de plusieurs fonctions d’une grande diversité, qui constituent chacun des métiers à part entière. L’instance comporte elle-même de multiples aspects, qui la rendent parfois complexe à appréhender – mais d’autant plus passionnante. Les contentieux propres au tribunal d’instance sont très variés, mêlant droits civil et pénal, ainsi qu’audiences et rédaction ; nous y reviendrons.
Le/la juge d’instance exerce son office dans un tribunal d’instance. Il se trouve parfois au sein du TGI, dans le même bâtiment ; parfois ailleurs dans la même ville ; et parfois dans une plus petite ville qui n’accueille pas de TGI. Le contentieux que le juge rencontre diffère fortement selon le lieu de situation du tribunal : un imposant TI de région parisienne avec près de dix magistrats ; un joli bâtiment Second Empire avec moulures et lambris dans une ville moyenne ; une vieille bâtisse adossée à la mairie en milieu rural, où le juge est parfois (bien trop) seul… Les affaires sont aussi fortement empreintes des traditions, de la géographie et du développement agricole et industriel local. Les TI de Beaune ou Cognac (hips !) connaîtront étrangement d’un certain nombre de litiges liés (hips !) à la production viticole (hips !)…
Les contentieux attribués au juge d’instance, je le disais, sont extrêmement variés, même si quelques uns dominent en nombre de dossiers (l’unité de mesure du travail des professions judiciaires !). Dans la mesure où l’insaisissable instance a un côté légèrement « fourre-tout », je vous détaille uniquement les principaux, même si j’aurais adoré aborder avec vous le contentieux de la mainlevée de la saisie d’un aéronef en cas de saisie pour contrefaçon d’un brevet (« true story »).
– le contentieux civil « général » : après son audience civile (voir plus bas), le juge repart les bras chargés de décisions à rédiger. Les litiges qui peuvent lui être soumis sont aussi nombreux que les demandes et les actions que le code civil permet (et tout le charme de l’instance est là) ! A la seule condition que le montant du litige ne dépasse pas 10 000 euros, faute de quoi le TGI serait la juridiction compétente pour le trancher. Les types d’affaires les plus fréquents sont les demandes relatives aux baux d’habitations et expulsions locatives ; les crédits à la consommation ; les demandes en dommages-intérêts ; les troubles du voisinage ; et les actions en bornage ou clôture, ainsi que les demandes en entretien des haies, arbres et murs mitoyens.
– le tribunal de police : seules fonctions pénales traditionnellement dévolues au juge d’instance, certains TI en ont été déchargés en raison d’une tendance récente au regroupement des audiences dans le plus gros TI du ressort. Le juge d’instance préside les audiences de police, où sont jugées les affaires de nature contraventionnelle (très souvent, les violences sans incapacité ne comportant pas de circonstances aggravantes), même si ce contentieux ressort désormais du TGI.
– les mesures de protection des majeurs vulnérables : le plus souvent désignées « tutelles », même si le juge « des tutelles » traite également les dossiers de curatelle, de sauvegarde de justice, d’habilitations familiales et bien d’autres mesures encore. Je consacrerai un article dédié au juge des tutelles, dans la mesure où certains juges d’instance ont pour activité principale, voire exclusive, le prononcé et le suivi des mesures de protection.
Moitié Kremlin, moitié Poudlard : bienvenue au tribunal d’instance de Mulhouse.
Outre ces trois principales attributions, le juge d’instance est également compétent en matière :
- de saisies des rémunérations du travail : quand les voies d’exécution classiques ont échoué, le créancier peut saisir le tribunal pour demander la saisie des rémunérations du débiteur (son salaire, mais aussi les allocations chômage, la retraite…) ;
- d’injonctions de payer : des dossiers généralement peu volumineux, dans lesquels un créancier souhaite obtenir rapidement un titre exécutoire ;
- de surendettement ;
- de départage prud’homal ;
- d’élections professionnelles : contestations lors d’élections professionnelles, par les syndicats ou le patronat. Elles donnent souvent lieu à des audiences où 100, 200, 300 parties sont convoquées, voire plus.
- de présidence du tribunal paritaire des baux ruraux ;
Des contentieux encore plus spécialisés, rares voire très rares, ne donnent lieu qu’à des audiences ponctuelles. Il en est ainsi du contentieux des conditions des funérailles ; du contentieux électoral ; d’un grand nombre d’actions mobilières et personnelles nées avec la révolution industrielle (servitudes sur le passage des voies ferrées, contrats d’engagement entre armateurs et marins…) ou liées à la vie rurale (curage des fossés et canaux, vices rédhibitoires et maladies contagieuses des animaux domestiques, dégâts causés aux récoltes par le gibier…). Une audience civile peut se révéler riche en rebondissements et en curiosités juridiques…
La réforme prochaine de la justice devrait restreindre le champ de compétences du juge d’instance, en lui ôtant le contentieux civil général afin de recentrer son office sur les tutelles, le surendettement, les loyers impayés et les crédits à la consommation. De juge d’instance, baptisé du nom du bâtiment qui l’abrite, ce noble magistrat deviendrait « juge du contentieux de la protection ». Outre le fait que l’abréviation JCP manque clairement d’allure, cette modification risque d’avoir un impact certain sur l’accès au droit des justiciables les plus modestes, en plus d’amoindrir l’intérêt intellectuel de la fonction pour les auditeurs et magistrat(e)s que vous êtes ou serez bientôt.
Dans un prochain article, nous irons passer quelques heures de rédaction avec le juge d’instance, armé de ses codes, de son ordinateur au clavier usé par les syllogismes et de sa machine Nespresso.
From ENM, with love
Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin et approfondir leurs connaissances de la fonction de juge d’instance :
- L’article consacré à la fonction sur le site du Ministère de la justice ;
- La page Justimemo sur le juge d’instance, avec des vidéos et des interviews ;
- Mathilde Damgé, « A quoi servent les tribunaux d’instance ? », Le Monde, avril 2018 ;
- Anne Caron-Déglise et Philippe Florès, « Carte judiciaire et juge d’instance », Le Monde, septembre 2007 (un peu daté mais toujours intéressant) ;
Très sympa cette nouvelle série d’articles, ça correspond à des connaissances et un retour frais que tu as et c’est intéressant pour moi de se motiver en voyant ce qu’on peut avoir après avoir bien travaillé pour le concours !
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Superbe initiative, cela donne un intérêt nouveau à ton contenu, j’aime beaucoup ! Hâte de lire tes anecdotes croustillantes… !
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Bonjour fromenmwithlove!
Je compte préparer le concours 2020 l’année prochaine et je suis étudiante en IEP! Penses-tu qu’il faut commencer à bien réviser dès l’été avant la préparation? 🙂 ou est-ce qu’on ne risquerait pas de s’épuiser pour rien ? C’est surtout qu’en tant qu’étudiante à Sciences Po il faut se remettre à jour du droit !
Je te remercie pour ta réponse 🙂
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Bonjour chère camarade sciencepiste!
La préparation du concours de l’ENM, c’est bien connu, est assimilable à une course de fond pour laquelle il faut mieux arriver plein de forces en octobre. Si tu en as la motivation, libre à toi de te (re)mettre tranquillement au droit civil et pénal durant l’été, mais sans forcer non plus. Au fond, arriver en octobre avec les bases remises en place, pour profiter des cours de prépa ou d’IEJ, ne peut qu’être une bonne chose! Bref, je t’offre une belle réponse de normand(e) : pourquoi pas, mais pas trop. Bonnes révisions estivales à toi (ou pas) !
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Merci beaucoup pour ta réponse fromenmwithlove!! Je vais donc suivre tes conseils et m’y mettre cet été doucement mais surement 😉
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