Salut à tous / toutes !
Le droit public, c’est comme les bonbons à la réglisse, le sirop d’orgeat ou les westerns : on aime ou on déteste. C’est vrai que ses charmes sont secrets, voire mystérieux, comme trois heures de révisions sur les compétences du président de conseil général départemental suffiront à vous en convaincre.
L’épreuve figurant au programme du concours de l’ENM l’est aussi, mystérieuse. Deux heures de rédaction, trois questions – dont certaines peuvent être relativement précises, et d’autres au contraire totalement vagues. Mystérieuses également doivent être les copies rendues : transformées en papyrus à cause de la transpiration de la paume de la main du/de la candidat(e), on doit s’approcher du hiéroglyphe de la période pharaonique tardive quant à la lisibilité.
Bienvenue au royaume de la connaissance brute, à recracher telle des machines lanceuses de balles de tennis ! Plus que pour les autres épreuves, l’analyse du cerveau du correcteur s’impose pour savoir quoi lui refourguer entre vos lanceurs de nains, vos analyses subtiles sur la réforme de juillet 2008 et des considérations philosophiques sur l’expérimentation législative.
Comme souvent, vous pourrez avoir l’impression que je me contredis d’une partie à l’autre. C’est que tout est une question de dosage et de nuance : « du volume mais pas trop », « des jurisprudences mais pas trop »…
Le titre de ce film de Pierre Richard est la devise parfaite de l’épreuve de droit public.
Qui est le correcteur-type ?
Comme pour les autres épreuves, les correcteurs sont des magistrats volontaires ou des profs de droit. Mais pas n’importe lesquels : des publicistes. Brrrr… Ça fait froid dans le dos. Il paraît qu’on en a vu un frissonner de bonheur en lisant une revue de droit de l’urbanisme, et une autre ne pas parvenir à réprimer un « Youhou ! » lors de la sortie du rapport annuel du Tribunal des conflits.
Il se murmure que certain(e)s pourraient même appartenir à la tribu sacrée des magistrats administratifs. Ils occupent environ une quarantaine de tribunaux et six cours d’appel, et ont dédié leur vie à Blanco le Magnifique, un totem qu’ils vénèrent depuis 1876 (selon notre calendrier : c’est l’an 0 pour eux). Ils auraient plus ou moins tous étudié dans une école strasbourgeoise qui a imité à une lettre près le sigle de l’Ecole nationale de la magistrature.
Bref, avec ses chaussures Mephisto et sa cravate en maille (très jolie, il faut bien l’admettre), le correcteur de public n’est pas là pour rigoler. Dans un contexte de saine émulation entre justice administrative et justice judiciaire, il tient à garantir que les futur(e)s magistrats disposent d’un niveau suffisant en droit public.
Ce qui explique sans doute la sévérité des notes : la moyenne est de loin la plus basse des épreuves écrites, sauf en cas de cas pratique civil malicieux. Dans les 2ème et 3ème concours, elle est même très faible : n’hésitez pas à miser dessus, car avec la moyenne ou plus, vous ferez une différence immédiate avec les autres candidat(e)s.
Elle n’est pas en maille – et elle est accessoirement un peu tordue -, mais la cravate du Dieu des publicistes le protège des mauvais démons et l’aide à préserver le Temple du droit administratif.
Ce que le correcteur attend
En guise de remarque préliminaire, j’assure tout le monde que le jury a bien conscience qu’il s’agit d’une épreuve (très très) courte de deux heures. Dans son rapport annuel, il rappelle qu’il n’attend pas des candidat(e)s qu’ils concurrencent Bernard Stirn, mais qu’ils proposent une copie riche de connaissances (à peu près) bien agencées. Généralement, si on est un(e) étudiant(e) consciencieux/se, on ne se sent pas hyper fier(e) de soi après avoir rendu un torchon censé s’apparenter à du droit public.
– Une bonne connaissance de l’architecture institutionnelle. Plutôt que d’évaluer l’ampleur de vos connaissances, le correcteur veut déjà s’assurer que vous disposez des fondamentaux de l’honnête publiciste. Soyez le/la plus clair(e) possible et évitez les confusions ou ce qui pourrait y ressembler, sur ce qui relève du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire par exemple.
– Une utilisation du vocabulaire juridique publiciste. Essayez d’employer les termes propres au droit public, plutôt que de recycler les notions civilistes et pénalistes. De manière générale, si le sujet est transversal, voire lié au droit privé, faites-en un traitement strictement publiciste.
– Les jurisprudences essentielles (si le sujet s’y prête). Je ne vous apprends rien, le droit public est à haute teneur jurisprudentielle. Le correcteur attend des points-clés, des jalons : les principaux arrêts, qu’il retrouvera comme des cailloux tel le Petit Poucet, pour éviter de se perdre dans la forêt de votre copie. Cela dit, les dernières années, peu de QRC se prêtaient à la mobilisation des stars du GAJA.
– Un certain volume. Il faut noircir un peu la feuille, car une copie trop courte sera moins bien considérée a priori. Plus on en met (de trucs pertinents), mieux c’est : en deux heures, votre copie ne pourra pas atteindre une longueur démesurée… La conséquence logique de cela est qu’il me semble impossible de ne pas utiliser les deux heures mises à votre disposition : chaque minute vous sera utile !
– Un brin de structuration du propos. La méthode est beaucoup plus souple que dans les autres épreuves, et le correcteur sera peu regardant. Essayez toutefois de structurer un peu votre propos, notamment pour la QRC qui appelle un traitement plus long : un mini-plan en deux parties, par exemple. Mais ne perdez pas un quart d’heure à élaborer un plan du tonnerre de Zeus : l’objectif, c’est de le remplir. J’ajoute que les corrigés proposés par les prépas sont souvent d’excellente qualité, mais qu’ils peuvent donner une impression fausse des attendus de l’épreuve : trop précis et détaillés, avec des A), B), 1bis et 1ter, vous ne pourrez pas reproduire de telles copies le jour du concours.
Vous aussi, jouez en famille au grand quiz de droit public FEWL ! Quel arrêt se cache derrière ce superbe bon au porteur ?
Ce que le correcteur ne veut pas lire
– Une absence totale de structuration de la copie. Corollaire de ce qui précède, écrire au fil de la plume ne sera pas possible. Le correcteur sanctionnerait le manque de clarté de la copie.
– Du droit civil et du droit pénal : obviously. Vous aurez quatre autres belles occasions pour cela !
– Du blabla. En droit public, il est vrai qu’on a vite fait de verser dans un propos manquant de précision, un peu superficiel et plus véritablement juridique. Oui, une copie trop courte pourrait être mal perçue, mais si vous n’avez vraiment plus rien à dire, arrêtez-vous. Le correcteur repère le délayage grâce à son radar interne acquis sur les bancs de Sciences Po.
– Des impairs sur les éléments de base de la citoyenneté. Les correcteurs se plaignent dans le rapport annuel que les djeun’s ne disposent plus de connaissances des institutions politiques, bref, qu’ils/elles ne soient pas des citoyen(ne)s curieux/ses et au fait de l’actualité. Sur les libertés publiques notamment, quand un sujet s’y rapporte.
– Des ignorances sur les fondamentaux du droit constitutionnel. J’avais tendance à le négliger dans mes révisions pour me concentrer sur le droit administratif (étrangement absent depuis maintenant plusieurs années). Si se gourer d’une année dans une jurisprudence n’est pas bien grave, ne pas connaître les principaux articles de la Constitution pourrait vous jouer des tours, surtout les articles touchant à l’autorité judiciaire. En 2016, ne pas citer l’article 89 dans la QRC sur la révision constitutionnelle, ça la foutait mal.
– Du dérapage sur de la science politique. Sauf quand le sujet l’exige, comme avec les primaires présidentielles (2016), essayez de vous maintenir dans le domaine du droit, car le correcteur pourrait interpréter cela comme une volonté de maquiller des lacunes.
L’épreuve des QRC-mitraillettes de droit public clôt en beauté une semaine bien éprouvante. Un feu d’artifice, à ceci près qu’on ne s’exclame pas « Oh la belle bleue » mais plutôt « Purée, en droit public je suis un(e) sacré(e) bleu(e) ».
Mais souvenez-vous de plusieurs choses. D’abord, l’épreuve vise surtout à évaluer ce que le magistrat de demain ne peut pas ignorer du droit public, plutôt qu’à dévoiler l’ampleur de vos connaissances.
Ensuite, c’est l’équation gagnante. Faible coefficient, faible moyenne générale, donc un écart entre les candidat(e)s très faible aussi. C’est mieux de ne pas se planter, bien sûr, mais c’est beaucoup moins grave que dans les trois épreuves-reines.
Bref, c’est l’occasion de jeter, au sens propre comme au figuré, toutes vos dernières forces dans la bataille ! Comme au salon de massage thaïlandais, installez-vous, ne pensez plus à rien… et recrachez du droit public par paquets de douze !
From ENM, with love