Oraux techniques ENM – Dans la tête de l’examinateur

Salut à tous / toutes !

Après le récit détaillé du déroulement de l’épreuve et une modeste proposition de plan de bataille pour les révisions, je vous propose d’enfiler votre combinaison rouge et votre tuba pour plonger avec le commandant Cousteau (moi, vous l’aurez compris) dans la tête du correcteur des oraux techniques, devenu pour l’occasion un examinateur.

Je me répète, et je prie les plus fidèles lecteurs et lectrices de m’en excuser : connaître les attendus du jury est primordial pour parvenir à décrocher une bonne note. Ca paraît évident, mais on perd trop souvent cet objectif de vue, en recherchant par exemple une connaissance encyclopédique et en négligeant certains aspects fondamentaux au profit de détails insignifiants.

Trêve de rodomontades : voici une petite analyse maison des attendus de l’épreuve pour vous permettre de shine bright like a diamond dans ces quatre matières passionnantes !

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Une belle phrase de René Char s’applique parfaitement aux oraux techniques :
« Pense en stratège. Agis en primitif ».


Dans la tête de l’examinateur

Je vous fais grâce d’articles spécifiques à chaque matière des oraux techniques, car la philosophie de l’épreuve et la méthodologie sont les mêmes : délivrer un exposé complet, bien organisé, d’environ huit-neuf-dix minutes. Ce qui suit vaut donc pour vos quatre zorros techniques.

Qui sont les examinateurs ?

Des gens bien, à ceci près qu’ils ont voué leur existence aux pensions alimentaires en droit international privé, ou aux créances postérieures à l’ouverture de la procédure collective. Si vous êtes juriste, vous avez déjà probablement croisé de tels énergumènes sur les bancs de la fac, ou en êtes un vous-même (bénie soit votre âme). Si vous n’êtes pas juriste, habituez-vous : vous croiserez dans la suite de votre carrière par mal de spécimens que l’on appelle pudiquement « fins juristes ».

Concrètement, ce sont deux messieurs ou mesdames (à 80% des messieurs, d’après ce que j’ai vu l’an dernier) en chemise ou en tailleur qui se tiendront assis à deux mètres de vous. Le plus souvent, il s’agit de profs de la matière, ou de magistrats plutôt spécialisés (du genre à avoir écrit un ou deux bouquins sur la question, ou un conseiller en chambre sociale ou commerciale). Il y a un examinateur pour chaque matière. Leur âge varie : certain(e)s sont de jeunes maîtres de conférence, d’autres d’expérimentés vétérans qui ont roulé leur bosse dans toutes les facultés de France et de Navarre.

Vous pourrez trouver la liste des examinateurs des oraux techniques dans un document publié sur le site quelques semaines avant. Vous ne pourrez pas, en revanche, savoir devant lesquels vous allez briller. Inutile de les googler un par un pour chercher leur spécialité ou leur sujet de thèse, et espérer pouvoir les épater par des révisions « orientées ». Déjà, ce serait trop long. Et puis, ils le sentiraient : un(e) candidat(e) qui maîtrise la kafala ou la jurisprudence de la CNITAAT après deux mois de révisions, c’est quand même suspect.

Que cherchent-ils ?

A répondre à une question simple : le candidat maitrise t-il les grandes notions de fond du DIP, DUE, du droit social et du droit commercial ? L’objectif est de vérifier les connaissances juridiques brutes de l’impétrant magistrat.

Certes, le candidat devenu auditeur ne sera pas confronté directement à ces quatre matières immédiatement lors de sa prise de fonctions. Le DUE, vous le regarderez de loin, à moins d’être nommé(e) à la CJUE en sortie d’école (va falloir amener pas mal de boîtes de chocolat Jeff de Bruges à vos maîtres de stage). Avant d’être confronté à du DIP de haute volée, il faudra aussi attendre quelques temps. Le droit social et commercial, c’est plutôt en appel, après quelques années de bouteille, même si on peut avoir à s’y frotter si l’instance nous a appelé(e) dans ses rangs.

Toutefois, il ne paraît pas anormal d’exiger d’un(e) juge ou d’un(e) procureur(e) qu’il/elle connaisse l’environnement immédiat du droit pénal et civil. On croise fréquemment des notions issues de ces matières dans des dossiers civils et pénaux : la location-gérance, le fonds de commerce, les entreprises personnelles en droit patrimonial de la famille… Souvent, les matières des oraux techniques éclairent même nos révisions de civil et de pénal. Quand au droit européen des droits de l’homme, il infuse comme vous le savez presque tous les domaines de notre droit national.

En somme, le jury cherche à vérifier si vous êtes un(e) juriste qui parvient à maintenir les apparences de la polyvalence durant une vingtaine de minutes.

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L’examinateur pendant la phase de questions.


Qu’en dit le jury ?

Certain(e)s ont fait des heures d’attente devant la FNAC pour obtenir le dernier Harry Potter le jour de sa sortie. Moi, c’est pareil avec le rapport du jury de l’ENM : je l’attends devant mon ordinateur en tapant du pied. Chaque année, il est riche d’informations instructives et – parfois – de bons mots.

Pas la peine de me supplier, je me dévoue : je vous ai sélectionné les passages les plus intéressants à propos des oraux techniques. Le rapport du jury ne doit pas être pris au pied de la lettre : les examinateurs ne passent pas dix ans à méditer son contenu, et celui qui le rédige chaque année a sans doute été tiré à la courte paille. Cela dit, il révèle la philosophie de l’épreuve et formule des impressions générales dont vous pouvez tenir compte lors de votre préparation.

Les défauts le plus fréquemment relevés chez les candidats, en matière sociale et commerciale, tiennent à des connaissances sommaires, à un manque de plan d’exposition, de conviction et de tenue dans l’exposé.

Rapport du jury 2014

Décortiquons ensemble ce haïku qui, malgré sa brièveté, mérite l’attention.

« Connaissances sommaires » est selon moi une remarque générale et assez « tarte à la crème » : oui, en fonction du sujet tiré et de la préparation de chacun(e), il peut arriver que le niveau des connaissances proposées par le candidat soit variable. Grande découverte.

Le jury relève ensuite un point de méthode : le « manque de plan d’exposition ». Il est en effet surprenant que des candidat(e)s réalisent un exposé oral sans en exposer la structure à la fin de leur introduction… L’annonce du plan me semble à la portée de tou(te)s et ne nécessite pas de réflexion particulière : en veillant à ne pas l’oublier, vous passez déjà devant ces malheureux, qui ont l’air d’avoir été nombreux en 2014, puisque cela a justifié une remarque dans le rapport.

En interprétant son propos, je pense que le jury voulait insister sur la nécessité de faire preuve de la plus grande clarté possible. Les examinateurs voient passer près de quinze candidats en une après-midi et ont comme tout le monde une capacité d’attention limitée : n’hésitez pas à les « prendre par la main ». Au sens propre, si vraiment le contact est bien passé avec l’examinateur. Sinon, au sens figuré, en annonçant clairement votre plan à la fin de l’introduction, et en marquant des transitions nettes à la fin de chaque partie et sous-partie. En plus, ça permet de gratter du temps : c’est « tout bénéf’ » comme dirait Vincent Lagaf’.

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Enfin, le jury pointe un manque de « conviction et de tenue dans l’exposé ». Voilà exactement pourquoi j’insiste tant sur la nécessité de s’entrainer. Par « conviction », le jury veut dire par là qu’il faut mettre de la vie et de l’envie dans votre exposé. Même si le sujet ne vous convient pas et qu’il est déprimant à souhait, faites comme si vous étiez sur la scène de l’Olympia devant trois mille personnes. Paraissez intéressé(e)s par le sujet, presque exalté(e)s. Même si vous n’êtes pas satisfait(e) de vous ou que vous n’y croyez pas, faites comme si vous étiez absolument sûr(e) de ce que vous avancez.

Quant à la tenue de l’exposé, vous l’aurez compris, elle ne peut s’acquérir qu’en s’entrainant à la forme de l’oral auparavant – je ne reviens pas là-dessus. S’ils font la remarque, c’est qu’un bon nombre de candidats a fait l’erreur de ne pas se montrer assez combatif lors de l’exposé et de produire un oral un peu « brouillon ». Quoiqu’il arrive (petit trou de mémoire, égarement momentané dans le plan), ne lâchez jamais rien et poursuivez votre prestation jusqu’au bout. Le jury appréciera vos efforts pour retomber sur vos pattes. Si vous y parvenez, ce qui n’est pas difficile, vous vous distinguerez d’autres candidats qui n’auront pas abordé l’épreuve avec autant de « professionnalisme » que vous.

Les examinateurs ont toutefois relevé un manque de recul des candidats, enclins à « bachoter », une mauvaise connaissance chez certains du rôle du juge national dans l’application du droit de l’Union européenne ainsi que des principes de primauté et d’effet direct de ce droit, et pour beaucoup, une difficulté à mettre en pratique des connaissances théoriques, face à une situation particulière.

Rapport du jury 2015

Le jury se fait plus précis en 2015. Il dénonce un « manque de recul » et un « bachotage ». (Péj.) Bachotage, n.m : préparer un examen ou un concours en faisant appel à la mémoire au détriment de la compréhension. Avec deux mois pour s’enfiler quatre programmes (voire cinq si on compte la CEDH, véritable programme en soi), c’est sûr qu’on allait pas faire dans la finesse : à l’évidence, vous aurez oublié 90% de vos révisions de l’été une semaine après l’oral.

Ce que cette remarque a de gênant, c’est qu’elle soulève un paradoxe. D’un côté, l’ENM prétend vouloir recruter des profils variés, c’est-à-dire autres que le juriste pur jus. Bref, des gens qui se sont préparés spécifiquement à l’ENM. De l’autre, ces oraux sont une survivance de l’idée selon laquelle les futurs magistrats doivent être des juristes complets qui manient toutes les domaines du droit, comme si l’ENM était encore la continuation logique de la faculté de droit.

Passez outre tout cela. Si vous n’avez pas fait beaucoup de droit avant de vous lancer dans la préparation, et même si vous êtes juriste, vous n’avez pas d’autre choix que bachoter sévèrement pour réussir à tenir vos dix minutes d’épreuve. La Fontaine l’écrivait lui-même en épilogue d’une de ses fables : « Qui veut recruter large doit s’attendre au bachotage ».

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Me voilà fort marrie ; je voudrois recruter
Tant des juristes que des fraichement débarqués.
Cela est possible, répondit le loup, au prix de cet adage :
Qui veut recruter large doit s’attendre au bachotage.

Le jury relève ensuite des lacunes ciblées. Les questions de la primauté et de l’effet direct sont les plus techniques en DUE, mais c’est un classique. Prenez le temps nécessaire dessus pour bien assimiler ces notions, et apprenez bien sûr les grandes articulations de votre fiche ou du manuel (qui a dit « un plan tout fait » ?). Pour la connaissance du rôle du juge national, le jury applique un raisonnement basique mais valable : « Tu veux devenir juge ? Ben ça fait quoi un juge ? ». Lors de vos révisions, essayez tant que faire se peut de vous mettre dans la peau d’un juge français qui aurait à appliquer une norme européenne ou étrangère.

Enfin, en évoquant les difficultés de « mise en pratique », le jury fait manifestement référence à la séance de questions qui suit l’exposé. Souvent, les examinateurs vous concoctent un cas pratique improvisé : « Imaginons, vous êtes juge aux affaires familiales à Châteauroux et vous devez appliquer la loi islandaise… ». Le manque de concrétude et de prise avec la réalité est bien compréhensible, vu l’intensité du bachotage à livrer. Pas de panique : essayez de raisonner simplement, « terre-à-terre », et fournissez la réponse qui vous paraît la plus rationnelle. Et n’oubliez pas que les questions sont loin d’être déterminantes dans la note.

Les examinateurs de cette épreuve ont en effet retenu que le niveau des candidats était très mauvais, par suite d’une méconnaissance du droit de l’Union européenne, de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit international privé en général. Ils ont été surpris de constater l’incapacité de beaucoup de candidats à appliquer la règle de droit à des situations simples.

Rapport du jury 2016

Et bim ! En 2016, ça monte d’un cran. C’est feu à volonté, double ration pour tout le monde : le niveau est carrément très mauvais. Pas médiocre, ou pas terrible, ni même mauvais : très mauvais. Bouuuuh. Des raisons particulières pour expliquer cette remarque acerbe ? « Une méconnaissance du DUE, de la CEDH et du DIP ». Ah. Des points à améliorer en priorité, sur lesquels passer davantage de temps ? « Une méconnaissance […] en général ».

Vous avez reçu le message du jury : pour avoir de bonnes notes en DIP et DUE, il faut avoir des connaissances en DIP et DUE. Prenez-en bonne note. On remarquera au passage que deux ans plus tôt, c’est le droit social et commercial où les candidat(e)s semblaient manquer de connaissances. Si par hasard des examinateurs passés, présents ou futurs lisent ces lignes, qu’ils n’hésitent pas à inciter leurs collègues à étoffer la partie du rapport consacrée aux oraux techniques. Après des années d’investissement et de travail acharné, les étudiant(e)s (notamment les admissibles malheureux) méritent bien qu’on leur consacre davantage que trois lignes au contenu vague, imprécis – et de surcroît peu sympathique.


Ce qui ressort des attendus de ces épreuves burlesques, en somme :

  • Une bonne connaissance des fondamentaux : le jury ne vous attend pas sur des points de détail infimes, mais ne tolérera pas d’ignorance sur des points qu’il estime basiques ;

  • Le sens des réalités et de la concrétude : les examinateurs veulent tester votre bon sens et votre sens pratique. Il s’agit de recruter des praticiens du droit, pas des intellos ;

  • Une prestation « propre » et scolaire : vous n’êtes pas là pour épater la galerie ou subjuguer vos examinateurs, mais pour pondre quelque chose de « solide » et de clair. Pas d’audace, de plan farfelu ou d’exemple étrange : tenez-vous en à vos plan-types et à vos manuels.

Enfin, n’oubliez jamais que les rapports du jury sont souvent fondés sur quelques prestations « marquantes » pour les examinateurs. Il y a de très fortes chances pour que vous ne soyez pas la cible de ces remarques en appliquant spontanément la bonne méthode !

Bon bach… Bonnes révisions !

From ENM, with love


2 réflexions sur “Oraux techniques ENM – Dans la tête de l’examinateur

  1. Bonsoir Fromenmwithlove ! En bonne petite bachoteuse, je prépare déjà mes plans dans l’éventualité (fortement improbable mais sait-on jamais) d’une admissibilité
    Mais en remplissant les plans, je me suis demandée si cela était utile/nécessaire/indispensable d’apprendre par coeur les articles correspondants aux propos et les arrêts ?

    Merci pour votre réponse, et merci pour vos posts, qui sont toujours réconfortants en période de baisse de moral 🙂

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    1. Bonjour Manon, et mille excuses pour le retard avec lequel parvient cette réponse! A question simple, réponse simple : non, surtout, surtout pas. Il serait impossible de retenir les kilos d’articles du code de commerce, code du travail et autres dont les dispositions sont directement ou indirectement mobilisées pendant les oraux. D’ailleurs, les magistrats et autres professionnels du droit n’en connaissent que les principaux par cœur : nous faisons à chaque fois la recherche dans le code!

      Bon courage pour la suite de votre préparation et merci pour vos compliments!

      J’aime

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